
Avant de solliciter la mise en place de la garde alternée à distance, et de pouvoir l'obtenir, il est fondamental de savoir que ce qui va guider le Juge lorsqu'il prend sa décision est avant tout l'intérêt de l'enfant.
Il examine ce principe avec soin au travers de plusieurs critères :
- l'âge et la maturité de l'enfant ;
- l'entente entre les parents ;
- la distance entre les domiciles de chaque parent (point crucial pour la détermination de la notion de distance) ;
- et les caractéristiques matérielles de l'accueil de l'enfant (confort des domiciles respectifs, disponibilité des parents...).
Ces critères sont examinés en détail dans le cadre d'un divorce conflictuel. Mais dans le cadre d'un divorce amiable, même si les parents sont d'accord sur le principe de la résidence alternée, il revient au Juge de vérifier que l'intérêt de l'enfant est sauvegardé et que la garde alternée à distance est réalisable.
Garde alternée à distance : les critères classiques examinés par le Juge
Quel que soit son âge, un enfant est toujours affecté par le divorce de ses parents. Le Juge va se pencher sur trois grands critères pour traiter la question de la garde alternée à distance.
L'âge et la maturité de l'enfant
En pratique, il est assez rare qu'une résidence alternée, et plus encore à distance, soit ordonnée par le Juge alors que l'enfant a moins de 3 ans.
Exemple : la Cour d'appel de DOUAI, dans un arrêt en date du 26 mai 2011, a considéré « qu'un très petit enfant presque encore bébé a un besoin vital au niveau psychique d'établir dans une continuité un lien sélectif avec un adulte qui réponde à ses besoins physiques et affectifs, et que c'est ainsi qu'il peut construire une bonne relation d'attachement. »
Mais le très jeune âge d'un enfant n'est pas le seul argument sur lequel peut se baser le Juge pour refuser la garde alternée à distance.
L'entente entre les parents
Pour un Juge, la mésentente entre les parents n'est pas forcément un obstacle à la garde alternée à distance, tant qu'elle n'a pas de conséquences sur son organisation. Le magistrat étudie également la cohérence éducative et la culture parentale mises en place par les parents pour arrêter sa décision.
Il est cependant bien évident qu'un Juge n'accorde pas la garde alternée à distance dans un climat conflictuel, et s'il considère qu'un enfant n'est pas en mesure de passer d'une maison à l'autre dans « des conditions de sérénité et d'apaisement nécessaires à son équilibre et à la construction de sa personnalité » (Cour d'appel de DOUAI, arrêt du 26 mai 2011, n° 10/04663).
Les caractéristiques matérielles de l'accueil de l'enfant
Lorsqu'une demande de garde alternée à distance lui est présentée, le Juge aux affaires familiales prend aussi en considération les caractéristiques matérielles de l'accueil de l'enfant. Ainsi, il est impératif que chacun des deux parents dispose d'un logement lui permettant d'accueillir décemment son enfant.
Ce mode de garde implique que les enfants disposent de tout en double : vêtements, jouets, matériel scolaire... Cette contrainte représente un coût, et c'est pour cette raison que le Juge s'assure que la situation professionnelle de chacun des parents permet le respect de cette obligation.
Garde alternée à distance : la proximité des domiciles des parents ou la notion de distance
Pendant longtemps, pour qu'une garde alternée à distance puisse être accordée par le Juge, il était impératif que les domiciles des parents soient proches.
Le Tribunal de grande instance de Strasbourg a rendu une décision importante le 7 mars 2016. Le Juge aux affaires familiales a ainsi eu à trancher une question conflictuelle de résidence des enfants mineurs, en ne tenant compte que du seul intérêt des enfants.
En 2012, le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a prononcé le divorce des époux, parents de deux enfants mineurs, et fixé la résidence des enfants au domicile de la mère.
En 2015, le père, qui s'était vu octroyer un droit de visite et d'hébergement, a sollicité la mise en place d'une garde alternée à distance. La distance entre les deux domiciles est d'environ 30 km, ce qui représente environ 40 min de trajet lorsqu'il n'y a pas de circulation, mais presque une heure lors des périodes où les départs et retours au travail s'effectuent.
Il a été considéré que le rythme imposé aux enfants risquait de s'avérer épuisant pour eux, et que de fait la mise en place de la garde alternée à distance était contraire à l'intérêt de ceux-ci.
La Jurisprudence constante est d'ailleurs très claire sur ce point : la mise en place d'une garde alternée suppose une proximité propre à éviter que celle-ci ne pèse trop lourdement sur l'enfant.
Exemple : la cour d'appel de Dijon, arrêt du 13 décembre 2007 « ... l'école de l'enfant est située à une distance proche de son domicile (le domicile de la mère). M.R. demeure à 20 km du domicile et de l'école de l'enfant. Aussi, dans l'intérêt de l'enfant, il convient de rétablir la situation antérieure et de fixer à titre principal la résidence de l'enfant au domicile de la mère et d'accorder au père un droit de visite et d'hébergement. »
De la même façon, il ne peut y avoir de garde alternée quand cela contraint les enfants à des déplacements longs, les obligeant à se lever tôt pour aller à l'école.
Exemple : la cour d'appel de Lyon, arrêt du 15 septembre 2015 « attendu que le premier juge a considéré que l'intérêt supérieur de l'enfant exclut la mise en œuvre d'une résidence alternée ; attendu que l'éloignement géographique existant entre les domiciles parentaux exclut à lui seul la mise en place d'une résidence alternée. »
Jusqu'à présent, donc, la Jurisprudence ne faisait qu'appliquer le Code civil, qui imposait au magistrat de ne tenir compte que du seul intérêt de l'enfant. Le Juge aux affaires familiales devait répondre à ces questions :
- L'intérêt de l'enfant est-il de vivre de façon égalitaire au domicile de chacun de ses parents dans le cadre d'une garde alternée ?
- Ou bien l'intérêt de l'enfant est-il de vivre chez l'un de ses parents, et d'aller au domicile du second parent aux termes d'un droit de visite et d'hébergement ?
Le Juge aux affaires familiales de Strasbourg a fait une exacte application de la Loi et de la Jurisprudence : « ... Il résulte de ces éléments que la distance entre le domicile du père et des lieux de scolarisation des enfants est trop importante pour mettre en place une résidence alternée des enfants. Les enfants seraient alors soumis à un rythme trop soutenu pour leur âge en termes d'heures de lever et de temps de transport. »
Cette décision a été très remarquée, car le magistrat est passé outre l'audition des enfants, audition qui est pourtant « de droit » en procédure (cela signifie que le Juge ne peut pas la refuser) : « si les enfants ont à cœur de partager plus de temps avec leur père, ils ne sont pas en mesure de prendre conscience des contraintes qu'une telle résidence alternée engendrerait pour eux, notamment en terme de fatigue. Dans l'intérêt des enfants, la résidence principale des enfants est donc maintenue au domicile de la mère ».
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